D’Est en Ouest, la psychiatrie européenne en mouvement [FR]

Dr Jean-Yves Feberey
A la fin du mois de septembre dernier, la Fondation "Ebredések" (Réveil) de Budapest et "Nyitnikék" (initiative hongroise anti-stigma) ont invité le Professeur Norman Sartorius (ancien Directeur de la Division Santé Mentale de l’OMS) et le Docteur Claire Henderson (psychiatre au King’s College de Londres), à donner pour un groupe une formation sur la lutte contre la stigmatisation des patients psychiatriques. De nombreuses équipes engagées dans la psychiatrie communautaire ont participé à cette session, qui s’est déroulée en hongrois et en anglais. Norman Sartorius a rappelé un certain nombre de principes de base concernant ce combat, en particulier qu’il ne fallait en attendre aucune reconnaissance pour soi-même et qu’on y risquait l’épuisement psychique... En revanche, il est extrêmement utile de s’interroger régulièrement sur ses motivations profondes pour poursuivre le combat. Claire Henderson a elle présenté des exemples très documentés sur les campagnes «antstigma» dans différents pays du monde. Leur organisation est planifiée sur plusieurs années et la méthode employée consiste généralement à entreprendre une première campagne à petite échelle, puis à cibler dans un deuxième temps une catégorie socioprofessionnelle que l’on veut particulièrement sensibiliser. Rappelons que la lutte contre la stigmatisation est un des objectifs de la "Conférence ministérielle européenne de l’OMS sur la santé mentale", qui s’est tenue à Helsinki en janvier 2005.

Hier et aujourd’hui (8 et 9 octobre) ont eu lieu à Marseille, «la doyenne des villes françaises», les 24èmes Journées de Psychothérapie Institutionnelle, organisées par l’AMPI (Association marseillaise de psychothérapie institutionnelle). Rappelons que si le terme remonte à 1952 (Daumézon, Koechlin), la pratique en est plus ancienne, avec comme père-fondateur en France François Tosquelles, psychiatre catalan républicain qui a dû fuir l’Espagne après la victoire de Franco en 1939. Après avoir été dans un camp de réfugiés dans le Sud-Ouest de la France, il est arrivé en 1941, en pleine Occupation, à l’Hôpital de Saint-Alban en Lozère (Sud du Massif central). C’est là que s’est mise en place la première expérience de psychothérapie institutionnelle, pendant les années de guerre et avec l’aide de nombreux intellectuels qui sont passés par Saint-Alban à cette époque. La psychothérapie institutionnelle s’adresse aux patients psychotiques et vise à changer les relations soignants-soignés, à faire évoluer aussi l’hôpital, qui devient lieu d’expérience du changement.

Nous ne pouvons pas ici rappeler toute la richesse de ce mouvement, qui a marqué profondément - avec la psychanalyse - le développement de la psychiatrie française dans les années d’après-guerre, pour donner naissance au «secteur» (1960), et contribuer sans doute aussi à la séparation de la neurologie et de la psychiatrie (1968-1969). Mais si le tout récent colloque marseillais s’intitulait «Ça continue...», c’est bien parce que semble se jouer en ce moment un nouvel épisode de l’histoire de la psychiatrie française: depuis le «Discours d’Antony» de Monsieur Nicolas Sarkozy en 2008, qui manifestait surtout une orientation sécuritaire, des formes de résistance sont apparues, avec le Collectif «La Nuit sécuritaire» (invité à Marseille), mais aussi, les échanges de ces journées en ont largement témoigné, avec un renouveau dans les pratiques soignantes et la réflexion sur la clinique. C’est justement en s’arc-boutant sur celle-ci que des équipes parviennent à préserver leur pratique des effets délétères de la loi HPST («Hôpital, patients, santé, territoires») de 2009, que le Professeur Pierre Delion, pédopsychiatre à Lille, a rebaptisée «Hôpital privatisé sans thérapeute».

Enfin, ce colloque a été aussi un fort moment de transmission au sein du mouvement de la psychothérapie institutionnelle: si celle-ci semble avoir disparu des programmes universitaires officiels français, elle reste vivante et vivace, puisque les anciens - avec notamment Salomon Resnik, qui a rappelé avec beaucoup d’émotion et de poésie une expérience de groupe en Italie - y côtoyaient la «relève», avec les exposés très personnels de Loriane Brunessaux sur la formation des jeunes psychiatres et de Magali Miané sur la prise en charge d’une adolescente. Tous les nombreux participants ont malheureusement regretté l’absence de Jean Oury (Clinique de La Borde), qui était souffrant.

La persistance de cette importante dynamique au sein de la psychiatrie publique française laisse l’espoir de voir celle-ci échapper encore pour un temps au phagocytage complet par la psychiatrie biologique, cognitivo-comportementale et sécuritaire. Nous ne manquerons pas d’y revenir dans ce blog.

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